Il était une fois le Tour- 06 juillet 64
Retour sur un épisode légendaire du Tour 1964. Les protagonistes? Anquetil, Poulidor, un mage et un peu de champagne. Le théâtre? Un méchoui en Andorre, l'Envalira, Toulouse. Le scénario? A peine croyable...
Le Tour de France 1964 reste peut-être le plus fameux de la longue histoire de l'épreuve. Epique, presque mystique par moments, fourmillant de petites histoires qui nourrissent la grande légende, il a surtout constitué le paroxysme de la rivalité entre Jacques Anquetil et Raymond Poulidor, celle-ci culminant au sommet du Puy-de-Dôme, lors de la dernière semaine de course. Nous y reviendrons dans quelques jours. Mais avant ce coude-à-coude légitimement passé à la postérité, cette 51e édition avait déjà offert quelques mémorables morceaux de bravoure. Sur la route. Et même en dehors.
A ce titre, l'épisode du méchoui d'Andorre fait partie
intégrante de la mythologie du Tour de France. Il est aussi la preuve
qu'un Tour se gagne, aussi, lors des journées de repos. Remettons-nous
un instant dans le contexte. Jacques Anquetil, quadruple vainqueur de
l'épreuve et triple tenant du titre, fait plus que jamais office de
favori. Le Normand vient de remporter le Giro. Face à lui se dresse
Poulidor. De son côté, le Limousin a empoché la Vuelta. Les deux hommes
sont donc en lice pour un doublé au mois de juillet. A 10 jours de
l'arrivée, les voilà quasiment à égalité. Vainqueur à Briançon,
dominateur lors du contre-la-montre de Toulon, Anquetil ne compte
pourtant que 31 secondes d'avance sur Poulidor. Le maillot jaune est sur
les épaules de Georges Groussard, mais chacun sait déjà que ce Tour
n'échappera pas à Anquetil ou Poulidor. Les deux champions ont eu leur
lot de contrariétés. A Briançon, le premier a subi une crevaison dans le
final, qui a permis à son adversaire d'empocher 30 secondes de
bonification. Quelques jours plus tard, sur la piste cendrée de Monaco,
Poulidor se trompe d'un tour et c'est au tour de Maître Jacques de
glaner la bonif'.
"Mais enfin tu t'appelles Anquetil, nom de dieu"
Survient alors la journée de repos, en Andorre. Nous sommes le
dimanche 5 juillet. A la veille d'attaquer les Pyrénées, Anquetil est en
réalité au plus mal au plan psychologique. Depuis le départ, il est
miné par une drôle d'histoire. Une histoire comme seul le Tour de France
peut en raconter. Avant le coup d'envoi du Tour, le mage Belline a
prédit dans France-Soir que Jacques Anquetil effectuerait une chute
mortelle lors de la 14e étape, entre Andorre et Toulouse, le lundi 6
juillet. Cette funeste annonce mine le champion normand, homme anxieux
par nature. Mais c'est aussi un bon vivant. Raphaël Geminiani, son
directeur sportif, décide alors de répondre à l'invitation de Radio
Andorre, qui organise un méchoui lors de la journée de repos.
L'occasion, se dit le Grand Fusil, de changer les idées de son leader.
Des équipiers, qui ignorent tout de la prédiction du mage, sont outrés. "Il nous prend carrément pour des cons!",
preste Henry Anglade. Mais Geminiani, le seul dans la confidence avec
la femme de Jacques, sait ce qu'il fait. Il n'empêche. Quand elle voit
Anquetil en train de manger du mouton et de boire un coup avant une
étape décisive, la France entière s'interroge. Ses adversaires, eux, ont
l'appétit ouvert par cette incartade à la plus élémentaire aux règles
de la diététique sportive.
Le lendemain matin, Anquetil va payer cher son méchoui. Dans un
premier temps en tout cas. Dès les premières rampes du port d'Envalira,
Jimenez et Esteban attaquent. Plus grave, Bahamontès et surtout Poulidor
leur emboitent le pas. La bagarre est lancée. De loin. Anquetil est à
l'agonie, subissant la pire défaillance de sa carrière. Le méchoui lui
pèse sur l'estomac. Le mage lui bouffe la tête et lui coupe les jambes.
Le Tour semble en passe de basculer. "Dès le début de l'ascension, racontera Anquetil le soir après l'étape, je
me suis senti mal à l'aise. Je vivais dans un cauchemar. Et quand je me
suis rendu compte que ça n'allait pas, je me suis dit que le mage avait
raison." A ses côtés se tient son équipier, Louis Rostollan,
lequel essaie de lui remonter le moral. Rien à faire. A six kilomètres
du sommet, le quadruple vainqueur du Tour est tout près de poser pied à
terre. "Je suis épuisé, j'arrête", dit-il à Rostollan. "Mais enfin tu t'appelles Anquetil, nom de dieu", lui hurle son lieutenant. Geminiani lui passe alors un bidon ou l'eau a été supplantée par du champagne. "Ou il s'envole, ou ça le crève" , lance Gem'. Anquetil est requinqué. Mais au sommet, il bascule tout de même à plus de quatre minutes du groupe Poulidor.
Poupou la poisse
Perdu pour perdu, oubliant sa défaillance, la prédiction du mage
et tout le reste, Anquetil se lance à corps perdu dans la descente. Il
prend des risques insensés. Rostollan, qui a vu quelques années avant
Roger Rivière achever sa carrière au fond d'un ravin en contrebas du
Perjuret, redoute le pire. D'autant qu'un épais brouillard enveloppe
l'autre face d'Envalira. On n'y voit pas à 10 mètres. Le groupe Poulidor
descend très prudemment. Anquetil, lui, lâche les freins et les
chevaux. Son idée? Rejoindre un groupe intercalé, dans lequel figure le
maillot jaune Groussard, accompagné de plusieurs équipiers. S'il les
rejoint, il trouvera des alliés de circonstance pour rouler dans la
plaine derrière Poulidor et Bahamontès. Alors le Normand joue son Tour
et sa carrière à quitte ou double. "C'est vrai, j'ai vu la mort, explique-t-il, conscient
de son inconscience. J'ai tout descendu au radar. Ca passait ou ça
craquait. Mais je n'avais pas le choix. Pour moi, c'était la victoire ou
la mort." Son pari va s'avérer gagnant. En bas de la descente,
Anquetil rejoint le groupe maillot jaune. Ensemble, ils collaborent dans
la vallée. A 75 kilomètres de l'arrivée à Toulouse, à l'entrée de
Tarascon, Anquetil a rejoint Poulidor en tête de la course. Un scénario
inenvisageable au sommet d'Envalira. Et on a encore rien vu...
Car Poulidor, après avoir été tout près du plus gros coup de sa
carrière, va subir une incroyable désillusion. 25 kilomètres avant
Toulouse, le Limousin brise des rayons de sa roue arrière. Son
mécanicien bondit de la voiture et change sa roue. Il le relance... mais
le fait tomber. Incroyable poisse. Puis, gêné par des voitures
suiveuses, le leader de l'équipe Mercier ne parvient pas à opérer la
jonction. Quand il coupe la ligne d'arrivée, Jacques Anquetil est déjà
passé depuis 2'36". Cette étape reste celle du plus grand retournement
de situation de l'histoire au cours d'une même journée. Poulidor, qui se
sent à juste titre accablé par un grand sentiment d'injustice, aura
l'immense mérite de ne pas s'apitoyer sur son sort et de repartir au
combat, dès le lendemain, en s'imposant en solitaire à Luchon. Peut-être
la plus belle victoire de sa carrière. Mais jamais il ne digérera
vraiment le tournant toulousain. Geminiani, en revanche, peut respirer.
Son poulain a frôlé la catastrophe. Mais Gem', rancunier, n'oublie pas.
Il ira régler son compte à Belline. "Il y a une chose qu'il n'avait
pas prédit. C'est ma visite. Et j'en profiterai pour lui mettre une
chaise en travers de la gueule. Ca changera peut-être sa prédiction..."
Source Eurosport
Source Eurosport
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire